Moderniser les tribunaux de manière responsible

Juil 8, 2020

La pandémie de COVID-19 a contraint le système judiciaire à adopter des méthodes de communication numériques dans les processus quotidiens comme jamais auparavant. Le contexte unique a entraîné un besoin d’innovation rapide.

En tant que chef de file canadien en droit de la famille depuis 1981 et l’un des premiers cabinets canadiens à instaurer la tenue de dossiers numérique à partir du début des années 1990, Goldwater, Dubé a toujours plaidé pour la modernisation des tribunaux. Cette évolution ne peut cependant pas se faire au détriment de la justice et de l’autorité institutionnelle du pouvoir judiciaire.

Nous avons identifié trois domaines dans lesquels les tribunaux devraient accroître leur utilisation de la vidéoconférence et d’autres options d’accès à distance: les audiences provisoires et les auditions intérimaires, le dépôt de documents et la gestion des dossiers.

Il convient également de considérer qu’avec l’arrivée des réseaux sans fil 5G dans des villes canadiennes comme Montréal et Toronto, des services Internet exponentiellement plus rapides rendront des plaidoyers comme celui-ci pour la modernisation des tribunaux encore plus pressants. La vigilance en matière de cybersécurité devra également augmenter, en raison de la hausse prévue du volume de données transférées et des risques que des acteurs malveillants contreviennent aux ordonnances judiciaires ou autres restrictions légales à la publication d’éléments de preuve, en particulier sur le «Dark Web».

En dehors de circonstances exceptionnelles comme le confinement occasionné par la pandémie de COVID-19, les procès, en particulier les procès nécessitant le témoignage des parties et de leurs témoins, devraient continuer de se dérouler en personne devant les tribunaux.

Pourquoi les audiences en personne sont essentielles

De manière générale, tous les procès devraient être tenus en personne. Les lignes directrices publiées par le ministère de la Justice pour les tribunaux pendant la pandémie de COVID-19 maintiennent cette règle d’or pour garantir que justice soit faite, et semble être faite.

«Le concept de procès par audience publique avec un jury de pairs remonte à la Magna Carta», a expliqué Me Anne-France Goldwater, associée senior de Goldwater, Dubé. «La justice pouvait être obtenue par de nombreuses méthodes, allant du procès par combat (pensez à Game of Thrones!) au procès sur papier uniquement. Un procès basé uniquement sur des affidavits préparés par des rédacteurs professionnels, c’est-à-dire les avocats, ne favorise pas plus la découverte de la vérité que le procès au combat. Le gagnant ne devrait pas être celui qui a le meilleur préparateur d’affidavit ou le meilleur guerrier. »

La common law est arrivée en Grande-Bretagne en 1066 avec l’invasion normande de Guillaume le Conquérant, et avec elle le principe du débat public a évolué à mesure que les Normands cherchaient à consolider les traditions juridiques variées se trouvant en Grande-Bretagne. La common law a évolué non pas comme une série de pratiques codifiées, mais comme une série organique de précédents. Le principe d’audience publique et le principe de la publicité des débats peuvent être attribués aux décisions de justice rendues avant même la signature de la Magna Carta en 1215 qui les a ensuite consacrés.

Depuis lors, il sont devenus des principes fondamentaux du système judiciaire, permettant l’interrogatoire et le contre-interrogatoire devant un juge et un jury. Au XVIIIe siècle, Lord Blackstone a rédigé ses Commentaires sur les lois d’Angleterre, l’une des seules publications à grande échelle sur la common law depuis le Moyen- ge, et qui a été écrite pour un public non averti.

C’est Blackstone qui a précisé l’importance du concept de tribunaux publics. En étudiant la différence entre les systèmes anglais et français – common law et droit civil – il a rejeté la méthode française d’obtention de preuves au moyen d’affidavits sous serment préparés à l’avance. Au lieu de cela, Blackstone écrivait que pour vérifier la véracité, il faut voir et entendre la personne qui témoigne.

Cette idée de recevoir la preuve de vive voix – viva voce – est cruciale pour l’intégrité de notre système juridique et l’accomplissement de sa mission. Pouvoir voir et entendre les parties impliquées dans une salle d’audience, où chaque geste peut être vu et chaque mot entendu, est ce qui donne à l’État de droit son fondement social.

Il est indiscutablement plus difficile d’évaluer la crédibilité d’un témoignage sur un écran vidéo. La technologie est un outil, mais elle ne remplace pas les audiences publiques.

«Si la mission de la Cour est de découvrir la vérité, alors le témoignage des témoins viva voce devant un juge ou un juge et un jury dans une salle d’audience publique – avec un public présent pour assister à l’audience – et soumis à des contre-interrogatoires, c’est la règle d’or», a ajouté Me Goldwater. «Ce processus humain et communautaire est la meilleure manière de mettre en lumière la vérité, ou d’exposer des mensonges, selon le point de vue de chacun.»

Il convient de noter qu’en ce qui concerne le droit de la famille spécifiquement, les audiences ne sont pas ouvertes au grand public afin de respecter la vie privée des familles et, en particulier, des enfants. Cela a pour effet de garder le public dans l’ignorance quant à la manière dont les audiences de divorce, de garde et de pension alimentaire se déroulent. Dans le même ordre d’idées, les audiences en matière de protection de la jeunesse sont confidentielles, ce qui crée également des défis supplémentaires quand vient le temps d’informer les citoyens sur la procédure judiciaire appropriée et le système juridique en général. La justice s’épanouit à la lumière du jour et se fane dans le noir.

Le récent jugement rendu en direct sur les réseaux sociaux dans l’affaire R. c. Theriault illustre l’importance des audiences publiques. Dans cette affaire, le gendarme Michel Theriault, alors qu’il n’était pas de service, avec son frère Christian Theriault, a pourchassé un homme noir, Dafonte Miller, aux petites heures le 28 décembre 2016, et l’a battu si violemment avec une pipe en métal que son œil gauche a éclaté (son nez, sa mâchoire et son poignet étaient également cassés). Le juge de la Cour supérieure de l’Ontario, Joseph Di Luca, craignant que pendant la pandémie de COVID-19, le public n’ayant pas été en mesure d’assister aux audiences ne puisse pas voir justice être rendue. a rendu son verdict en direct sur YouTube (l’enregistrement vidéo a depuis été rendu privé, ce qui est remarquable). Le fait que l’agent Theriault n’ait été reconnu coupable que de voies de fait (et non de voies de fait graves et d’entrave à la justice) peut et doit faire l’objet d’un débat public.

Le fait que 18 000 personnes aient écouté le jugement démontre visiblement que nous pouvons avoir une meilleure compréhension et une discussion franche sur la question du racisme systémique dans notre société (il convient de noter que le policier et son frère, tous deux blancs, n’ont pas eu de blessures visibles, mais M. Miller a perdu son œil; il va sans dire qu’au début, des accusations criminelles ont été portées contre la victime, et ce n’est qu’après une enquête plus approfondie que des accusations ont été abandonnées contre lui et portées contre les deux hommes qui l’ont agressé).

Voyons maintenant quelles applications se prêtent mieux au virtuel.

Les mesures provisoires et les auditions intérimaires

Dans bien des cas, il existe une série de tâches administratives qui ne devraient pas nécessiter la présence physique d’avocats et de juges et pourraient être mieux gérées par vidéoconférence.

Par exemple, lors de la révision d’un accord provisoire, un juge peut avoir besoin de s’assurer que les deux parties ont vraiment consenti, ou peut avoir besoin de précisions sur une partie du texte du document. La comparution par vidéoconférence devrait suffire, car la crédibilité de personne n’est remise en cause.

De même, lorsqu’un juge est appelé à rendre une ordonnance provisoire, dans l’attente d’une audience, il est déjà d’usage que de telles décisions provisoires soient débattues par les avocats uniquement, et parfois les parties elles-mêmes ne sont même pas présentes. Une nouvelle visioconférence peut donc suffire, car aucun témoignage au sens propre n’est requis.

Cela réduit à la fois le stress et la facture liés à une comparution en salle d’audience, pour un client. C’est aussi un usage à meilleur escient du temps d’un avocat. Plutôt que d’avoir à facturer à leurs clients pour attendre dans un palais de justice avant de comparaître devant un juge, les avocats seraient libres de travailler sur d’autres dossiers en attendant leur rendez-vous à heure fixe avec le juge. Cela pourrait avoir des effets bénéfiques indéniables sur l’accès à la justice.

La gestion des dossiers

À l’instar des audiences provisoires, la gestion des dossiers est un domaine où les audiences à distance seraient un ajout favorable au processus judiciaire.

Assister à une conférence de gestion signifie généralement qu’il faille trimbaler de volumineux dossiers entre le bureau de l’avocat et la salle d’audience. Imaginez à quel point ce serait plus simple de ne pas à transporter de dossiers du tout! Si un document est manquant, il peut être envoyé par courrier électronique en toute sécurité au tribunal ou sinon téléchargé et classé numériquement.

Les conférence de gestion ne nécessitent pas de témoignage et, en fait, les décisions qui sont prises n’ont pas d’impact direct sur les parties. Ce sont des étapes procédurales qui doivent être convenues ou tranchées et qui se rapportent à la production de documents, à la planification d’auditions intérimaires et d’interrogatoires ainsi qu’à d’autres tâches administratives. Il est déjà largement répandu de gérer ces audiences sans la présence des parties.

Procéder par vidéoconférence est beaucoup plus efficace et permet aux parties de participer sans perdre une journée de travail car elles peuvent se connecter à une heure fixe au lieu d’attendre dans un couloir de palais de justice. Là également, ce type de démarche «virtuelle» pourrait certainement avoir des effets bénéfiques sur l’accès à la justice et la réduction des coûts

L’archivage de documents

L’appareil judiciaire nécessite une énorme quantité de papier, dont une grande partie n’est pas nécessaire.

Nos tribunaux devraient agir pour accepter les dépôts par des moyens plus modernes. Il ne devrait plus être nécessaire de déposer physiquement les documents et les procédures.

La sécurité et le cryptage des données ont beaucoup progressé depuis l’adoption généralisée d’Internet. Il existe maintenant de nombreuses alternatives viables au télécopieur qui devraient être adoptées par le système judiciaire.

Ceci étant dit, les palais de justice devront disposer d’imprimantes couleur de haute qualité et d’ordinateurs de bureau avec de grands écrans, faute de quoi leur bon fonctionnement pourrait être mis en péril. De nombreux documents déposés au quotidien doivent être imprimés en couleur en haute résolution (1200×1200 ou mieux), tout comme de nombreux documents ne sont pas de qualité suffisante pour être lus sur un petit écran d’ordinateur portable (en gardant à l’esprit tous ne possèdent pas la même acuité visuelle pour déchiffrer des documents sur un petit écran).

Conclusion

Dans le contexte de la pandémie de COVID-19, le système judiciaire nous a montré que l’innovation et l’adaptation sont possibles, et nous devons voir à exploiter davantage de nouveaux outils.

L’adoption de nouvelles technologies – qui existent déjà et sont d’ailleurs largement utilisées par la plupart des cabinets d’avocats – permettrait de faciliter l’accès et réduire les délais dans plusieurs champs d’activités de notre système judiciaire.

Nous devons tirer parti des leçons apprises lors de la pandémie. Nous gagnerions à adopter la justice à distance pour les procédures quotidiennes et les démarches administratives, tout en respectant le caractère sacro-saint des procès en personne devant les tribunaux. Cet équilibre permettrait d’atteindre l’objectif d’optimiser l’accès à la justice tout en conservant la crédibilité institutionnelle essentielle au bon fonctionnement de notre système.

info@goldwaterdube.com

Photo: Tingey Injury Law Firm // Unsplash

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