Pour la deuxième fois en moins d’un mois, la Cour suprême du Canada s’est prononcée le 15 avril 2015 sur la liberté de religion et la neutralité de l’État. Tandis que la première affaire, École secondaire Loyola c. Québec (Procureur général), 2015 CSC 12, semblait favorable au fait religieux, la seconde, Mouvement laïque québécoisc. Saguenay (Ville), 2015 CSC 16, pourrait être perçue comme une victoire des mouvements anti-religieux. Qu’en est-il vraiment?
La réalité est plutôt que la Cour suprême persiste à véhiculer le même message depuis l’affaire Big M Drug Mart décidée il y a maintenant trente ans : l’État doit être neutre pour protéger la liberté individuelle de religion et de conscience. Il ne doit ni encourager ni décourager quelque croyance religieuse que ce soit, y compris l’incroyance!
M. Simoneau a obtenu gain de cause contre Saguenay parce que la récitation de la prière lors des séances du Conseil municipal imposée par le maire, puis par règlement, marquait la préférence de la municipalité envers la religion catholique, ce qui était discriminatoire à son égard. Selon la Cour : « le parrainage par l’État d’une tradition religieuse, en violation de son devoir de neutralité, constitue de la discrimination à l’endroit de toutes les autres ».
Il ne faudrait surtout pas conclure que cette décision permettrait d’interdire le port de signes religieux. Au contraire, la Cour suprême a mis beaucoup d’emphase sur le respect de la diversité dans les arrêts Loyola et Mouvement Laïque Québécois.
Après avoir déclaré il y a quatre semaines qu’ « un état laïque respecte les différences religieuses, il ne cherche pas à les faire disparaître », la Cour ajoute aujourd’hui que l’État doit être neutre pour favoriser la participation de tous à la vie publique. Ainsi, une préférence de l’État envers l’athéisme aurait un effet d’exclusion envers les croyants, ce qu’elle prohibe.
Cette décision sonne définitivement le glas de la catho-laïcité, cette notion de la laïcité à géométrie variable qui favorise la tradition de la majorité.¹ Elle prône selon moi une vision inclusive de la laïcité, qui devrait maintenant inspirer la conception de notre vivre-ensemble :
[74] En n’exprimant aucune préférence, l’État s’assure de préserver un espace public neutre et sans discrimination à l’intérieur duquel tous bénéficient également d’une véritable liberté de croire ou ne pas croire, en ce que tous sont également valorisés. Je précise qu’un espace public neutre ne signifie pas l’homogénéisation des acteurs privés qui s’y trouvent. La neutralité est celle des institutions et de l’État, non celle des individus (voir R. c. N.S., 2012 CSC 72, [2012] 3 R.C.S. 726, par. 31 et 50-51). Un espace public neutre, libre de contraintes, de pressions et de jugements de la part des pouvoirs publics en matière de spiritualité, tend au contraire à protéger la liberté et la dignité de chacun. De ce fait, la neutralité de l’espace public favorise la préservation et la promotion du caractère multiculturel de la société canadienne que consacre l’art. 27 de la Charte canadienne . Cet article implique que l’interprétation du devoir de neutralité de l’État se fait non seulement en conformité avec les objectifs de protection de la Charte canadienne , mais également dans un but de promotion et d’amélioration de la diversité.
¹ La Cour, au paragraphe 78 : « La neutralité de l’État, comme en convient d’ailleurs la Cour d’appel (par. 76 et 78), impose à celui-ci de ne pas encourager ni décourager quelque forme de conviction religieuse que ce soit. Si, sous le couvert d’une réalité culturelle, historique ou patrimoniale, l’État adhère à une forme d’expression religieuse, il ne respecte pas son obligation de neutralité. » Voir aussi le paragraphe 87.
Me Marie-Hélène Dubé est avocate et médiatrice familiale chez Goldwater, Dubé.